Le Royaume des Ombres

Cecil Aubemurmure

Poursuivant leur voyage, ils retournèrent dans l’environnement lugubre du Royaume des Ombres, le ciel gris oppressant et la bruine incessante dominant de nouveau le paysage. Les arbres clairsemés et le sol boueux qui s’étendaient devant eux rappelaient durement la réalité qu’ils affrontaient.

En approchant d’un village, le changement devint encore plus prononcé : les champs étaient à peine cultivés, le sol sombre et impitoyable. Les habitants qu’ils rencontrèrent étaient un reflet de leur environnement. Humains et elfes étaient vêtus pauvrement. Aucun n’avait de cheveux, leurs têtes chauves étaient exposées aux éléments. La plupart avaient les yeux et la peau de couleur grise, comme si la nature même du Royaume des Ombres s’était infiltrée en eux, les vidant de leur vitalité et de leurs couleurs.

Cecil guida ses compagnons jusqu’à une auberge modeste, un petit bâtiment avec une enseigne délavée suspendue au-dessus de la porte. À l’intérieur, l’atmosphère était sombre et silencieuse, l’odeur de bois humide et de vieux tissu remplissait la pièce. Ils s’assirent à une table près du coin, cherchant repos et nourriture.

Élara était assise en silence, les mains reposant mollement sur ses genoux, le regard flou. Cecil et Arken échangèrent des regards, conscients de sa dépression mais incertains quant à la façon de l’atteindre. Elle était visiblement affectée par ce voyage, les ombres de ce royaume la pressaient de tous côtés.

Cecil, sentant l’humeur lourde, tenta d’alléger l’atmosphère. “Vous savez,” dit-il avec un demi-sourire, “les gens d’ici raffolent des mets à base de viande. Et il se trouve que l’aubergiste me doit encore quelques pièces d’une saison de chasse précédente.” Il fit un geste vers l’aubergiste décharné, qui hocha la tête en reconnaissance et se dirigea vers l’arrière pour préparer leur repas.

Cecil commanda de la nourriture pour eux, y compris deux chopes de bière. En attendant, il continua, “La nourriture pourrait vous surprendre. Elle est souvent plus savoureuse que ce que les environs laissent supposer.”

Lorsque leurs assiettes arrivèrent, le repas était effectivement plus savoureux que prévu. La viande était bien assaisonnée, et les légumes, bien que rares, étaient cuits à la perfection. Élara prit sa chope de bière et observa la teinte rougeâtre du liquide. Elle prit une gorgée prudente, pensant qu’elle était peut-être faite à partir des rares baies rouges qu’ils avaient vues dans la forêt.

Cecil l’observait avec une lueur malicieuse dans les yeux. “Vous appréciez la bière ?” demanda-t-il. “Elle est brassée avec du sang animal.”

Les yeux d’Élara s’écarquillèrent de surprise, et elle recracha immédiatement la bière, son visage tordu de dégoût. Cette mauvaise blague la fit se sentir encore plus déconnectée du monde qui l’entourait, les dures réalités du Royaume des Ombres continuant à éroder son sentiment de confort et de compréhension.

Élara leva les yeux vers Cecil, son regard se posant sur ses yeux infusés d’ombre. “Vous souvenez-vous de m’avoir permis de vous demander la vérité ?” demanda-t-elle doucement, sa voix teintée de douleur et de curiosité. “Comment êtes-vous devenu si lié à cet esprit dangereux des bois ?”

Cecil soutint son regard. “Virelya et moi partageons une longue histoire, mais croyez-moi, c’est moi qui exerce le charme. Avec les années, j’ai découvert que même à Féerie, tous sont guidés par leurs valeurs, leurs désirs, et souvent leurs fantasmes. Il est souvent difficile de comprendre entièrement la nature, les ambitions, et les contributions des êtres qui la constituent. Ce monde est le résultat d’un enchaînement complexe d’éléments, et parfois, même les êtres qui peuvent paraître malveillants peuvent nous sauver. Mais surtout, parfois l’inverse.” Il s’arrêta, son expression s’adoucissant alors qu’il essayait de la rassurer. “Vous avez changé d’opinion face à Liora, l’enchanteresse. Elle fut cruciale pour notre mission diplomatique, et sans elle, mon âme serait maintenant en train de lentement se dissoudre dans le Mur des Incrédules.”

En entendant ces mots, Élara se sentit sombrer encore plus dans le désespoir. Blessée par ses paroles, elle lutta avec la réalisation que Cecil semblait incapable de voir au-delà de sa propre perspective. C’était elle qui l’avait ramené à la vie. Comment pouvait-il être si égocentrique, si myope ? La douleur de son indifférence la rongea au plus profond de son être, approfondissant grandement son sentiment d’isolement et de tristesse.

Malgré tout, Élara explora davantage le passé de Cecil. Elle demanda, “Comment le Seigneur des Ombres vous a-t-il infusé de sa touche féerique ?”

Pendant un moment, Cecil réfléchit à de lointains souvenirs, prit une profonde inspiration méditative et ferma les yeux. À sa surprise, il se mit à chanter, sa voix douce, mélodieuse et envoûtante.

“Écoutez l’histoire de trois âmes vaillantes,
Qui ont bravé les ténèbres quand sonna la cloche diabolique.
Cecil Aubemurmure, avec courage et vaillance,
Mena la charge dans la nuit la plus sombre.”

“Un rôdeur éladrin, rapide et fidèle,
Avec des flèches perçant les rangs démoniaques,
Son cœur empli de bravoure, son esprit empreint de grâce,
Il se tenait comme un bouclier dans ce lieu périlleux.”

Cecil s’arrêta, ses lèvres tremblant, ses yeux humides de larmes.

“Et à ses côtés, l’œil vigilant de Lathai,
Arc en main, regard perçant.
Une rôdeuse elfe des bois, silencieuse comme la brise,
Frappait depuis l’ombre, agenouillant les diables.”

“Ses flèches volaient droit, chaque tir une malédiction,
Pour les démons osant envahir notre domaine.
Son courage inébranlable, sa visée précise,
Lathai, la chasseuse, les a menés à leur perte.”

Après ce dernier couplet, Cecil sanglota brièvement avant de continuer.

“Et n’oublions pas la sage Arinara,
Mage céleste, au pouvoir d’inspirer.
Ses sorts apportaient la lumière dans l’heure la plus sombre,
Nous protégeant tous de son pouvoir céleste.”

“Guidée par Lumina et sa magie si brillante,
Elle renversa la situation dans le combat désespéré.
La sagesse d’Arinara, sa puissance arcanique,
A scellé le portail et banni la nuit.”

“Trois sauveurs de Mithrendain, unis et forts,
Dans les cœurs du peuple, leurs noms appartiennent.
Ils ont combattu avec honneur, avec une vaillance inédite,
Leur légende vivra à travers les âges.”

“Alors élevez vos voix, laissez les chansons résonner,
Pour Cecil, Lathai et Arinara, nos protecteurs renommés.
Par l’amitié et le courage, ils ont tenu bon et vrai,
Héros de Mithrendain, nous vous devons tout.”

Après une longue pause silencieuse, Cecil rouvrit ses yeux infusés d’ombre et plongea intensément dans le regard d’Élara. “Un sauveur du peuple, et pourtant j’étais naïf. Je m’attendais à ce que mes ennemis me confrontent directement. Comme j’avais tort.” Élara sentit l’âme de Cecil s’ouvrir à travers ses yeux, et pour la première fois, elle osa utiliser cette connexion pour lire elle-même ses rêves.

Plongeant dans le passé de Cecil, elle vit un vaillant protecteur combattant aux côtés de ses sœurs d’armes, Lathai et Arinara. L’horreur se déroula lorsqu’une malfaitrice s’empara injustement d’une noble maison de Mithrendain, la cité légendaire des Éladrins. Utilisant cette influence nouvellement acquise, la méchante tordit lentement l’esprit d’Arinara avec de la magie noire. Elle fit ensuite emprisonner injustement Lathai et la condamna même à mort.

Ce qu’elle vit ensuite était incroyable : Cecil cherchant volontairement le Seigneur des Ombres, permettant à son nouveau seigneur de tordre ses pouvoirs féeriques à des fins sombres. Ensuite, elle y vit des années de planification, de tromperie, d’espionnage, d’infiltration, de haine et de mort. Une croisade impitoyable et impie, pour purger tous ceux qui avaient participé à la mort de ses sœurs d’armes.

Ces visions laissèrent Elara tremblante tandis qu’elle luttait pour assimiler les images horrifiques. Submergée, elle se concentra sur son repas, incrédule et incapable d’en apprendre davantage sur le passé de Cecil. Elle réalisa que découvrir l’étendue du tourment de celui-ci et la profondeur de ses actions exigerait une force et un courage dont elle n’était pas certaine de posséder. Cette vision n’avait révélé qu’un fragment de l’obscurité qui avait enveloppé l’âme de Cecil, laissant Elara se demander si le chemin vers sa rédemption était même possible.

Reviendrait-il volontairement à la lumière s’il en avait l’occasion ?